Le succès des Marvel comics ? C’est lui. Le nonagénaire le plus célèbre du cinéma ? C’est lui. Pourtant, ce CV brillant cache mal certaines controverses. Dernière en date, lundi 23 avril, une masseuse a porté plainte pour agression sexuelle contre lui. Franceinfo se penche sur Stan Lee à l’occasion, mercredi, de la sortie en salles de « Avengers : Infinity War »
Le créateur de comics Stan Lee photographié à Los Angeles (Etats-Unis) le 7 mars 2017. (RICHARD CARTWRIGHT / DISNEY ABC TELEVISION GROUP / GETTY IMAGES)
Qui est vraiment Stan Lee ? Ce vieux monsieur de 95 ans apparaît une poignée de secondes à l’écran aux cotés de tous les personnages de la galaxie Marvel : Spiderman, Thor, Captain America et les Avengers, dont le dernier volet, Infinity War, sort en salle mercredi 25 avril. Pour le jeune public biberonné aux super-héros, Stan Lee est le père, voire le grand-père, de tout cet univers. Au détail près qu’une poignée d’historiens et de fans lui contestent la paternité de ses œuvres. Lundi 23 avril, une masseuse a aussi porté plainte pour agression sexuelle contre lui. Franceinfo dresse son portrait.
La merveilleuse méthode Marvel
Début des années 1960. Madison avenue, à New York. Stan Lee est l’éditeur de la division comics de la boîte de son cousin, Martin Goodman, qui est loin d’être un philanthrope. Stan Lee commence en bas de l’échelle, en gommant les planches encrées par les grands noms de la profession. Puis en rédigeant les pages de texte dans les revues de comics, celles que personne ne lit jamais, mais qui sont indispensables pour obtenir des tarifs postaux préférentiels et rassurer les parents soucieux que leur progéniture lise de vrais livres. Petit à petit, il monte en grade, au point de signer les scénarios des séries les plus prestigieuses.
Signer les scénarios, c’est une façon de parler. Il reste très peu de traces de son travail. « Parfois, il se contentait de me donner des indications au téléphone », se souvient Jack Kirby, dessinateur et co-scénariste des Quatre Fantastiques, héros qui ont sorti Marvel de l’ornière. « Il est arrivé que je n’ai rien besoin de dire à Jack », confie Stan Lee au magazine Castle of Frankenstein au faîte de leur gloire, en 1968. Cette alchimie va se cristalliser en ce qu’on appelle la Marvel Method, comme le souligne Xavier Dupont, un des meilleurs connaisseurs de l’œuvre de Stan Lee, à qui il a consacré une conférence au dernier festival d’Angoulême.
Kirby et Lee se réunissaient le vendredi, discutaient pendant trois heures des histoires à venir, un assistant prenait des notes, et la semaine suivante, Kirby revenait avec 20 planches.Xavier Dupontà franceinfo
Tant que les bandes dessinées, qui plus est celles consacrées aux super-héros, demeurent cantonnées aux kiosques, aucun nuage à l’horizon. « Personne n’avait vraiment le temps de déposer ses créations et d’en garder les preuves, rappelle Bob Batchelor, auteur d’une biographie de Stan Lee. Ils étaient trop occupés à terminer leurs planches à temps et à cravacher sur leur table à dessin pour faire bouillir la marmite. » A l’époque, un Kirby est payé 25 dollars la planche, et en tombe cinq par jour pour nourrir femme et enfants. Personne ne se formalise vraiment que les Quatre Fantastiquessoient inspirés de personnages qu’il avait vendus à un autre éditeur.
Pareil pour Spiderman. Officiellement créé par Stan Lee en 1962, le plus populaire des personnages Marvel a été en fait designé par Jack Kirby, qui lui-même avait suivi l’idée de son scénariste Joe Simon…
Le créateur de comics Stan Lee en compagnie de Spiderman, dans ses bureaux de Beverly Hills (Etats-Unis), le 18 décembre 2008. (JONATHAN ALCORN/ZUMA/REA)
Le Alexandre Dumas des comics ?
Les historiens des comics se muent en archéologues pour démêler qui a créé quoi. « Prenez les Quatre Fantastiques. Les premières planches ont mystérieusement disparu, ce qui fait qu’on ne peut pas savoir si Stan Lee a corrigé les dialogues de Jack Kirby dans la marge, illustre Jean Depelley, auteur d’une biographie de référence sur Jack Kirby. Et quand des querelles ont éclaté sur la paternité des héros, un synopsis du numéro 8, tapé par Stan Lee, a fait surface, comme par hasard, presque huit ans après la publication. »
Reste que, quand les premiers dessins animés inspirés des super-héros Marvel sont mis en chantier, la production invite Stan Lee dans un loft situé juste à côté des studios pour qu’il supervise la fabrication. Jack Kirby, lui, reste enfermé dans son atelier. Quelques mois plus tard, la direction de Marvel et le fameux oncle Martin Goodman aux oursins plein les poches ne renouvellent pas son contrat… ce qui permet au passage de régler la question des droits d’auteur : pour Marvel, l’auteur des Quatre Fantastiques,c’est Stan Lee. Point. Et comme il est salarié de l’entreprise, sa création appartient à Marvel. Point final.
Nous sommes en 1969, et si Jack Kirby poursuivra sa boulimie de planches notamment du côté de DC Comics, grand rival de Marvel, avec un succès moindre, Stan Lee va voir s’évaporer son génie créatif et ne va plus produire grand chose de notable. Le charme est rompu. « Je compare volontiers leur association à celle entre Alexandre Dumas et Auguste Maquet, son nègre, appuie Xavier Fournier. Il est établi qu’Alexandre Dumas n’a pas fait grand chose sur certains romans, à part repasser derrière son collaborateur pour changer le rythme ou retoucher un dialogue. Cela dit, quand Auguste Maquet s’est émancipé, ses romans n’ont pas volé bien haut. » Des experts quantifient à 30% le rôle de Stan Lee dans le processus créatif avec ses auteurs. Mais sa capacité à concevoir un univers complexe où les histoires des personnages s’entrecroisent – obligeant les fans à s’acheter la quasi-totalité du catalogue – relève du génie.
« Stan souffre d’un complexe de Dieu »
Le souci est qu’avec le temps, Stan Lee et son bagout a renvoyé dans l’ombre tous ceux qui ont travaillé avec lui. « On a attribué beaucoup trop de choses à Stan », regrette Gerry Conway, un vétéran de l’industrie des comics qui a commencé en 1970. « Stan souffre d’un complexe de Dieu », persifle Jack Kirby. Dick Ayers, un auteur de l’âge d’or, se souvient s’être fait enguirlander après avoir dépanné un Stan Lee débordé par un scénario urgent pour une série. Quand Dick Ayers demande à signer son travail, Stan Lee aurait éructé : « Signer ? Mais depuis quand tu as un ego ? » Pendant des années, la première page de nombreux comics Marvel était surmontée d’un « Stan Lee presents », qui n’a été enlevé qu’en 2005, plusieurs décennies après que le moustachu ait cessé de produire la moindre idée. L’affaire finira en justice – « Le procès le plus amical de ma vie », ironisera Stan Lee – et se soldera par un gros chèque de l’ordre de plusieurs millions de dollars.
Stan Lee a toujours eu une très haute opinion de lui-même. Jeune, il choisit ce pseudonyme en lieu et place de son vrai nom, Stanley Lieber. Il le préserve pour « son grand roman américain »,qui ne verra jamais le jour. Quand il revient de la guerre, ses collègues essaient de le maquer avec une collègue. Au restaurant, il se retrouve face à une certaine… Patricia Highsmith, future papesse du roman policier et qui révélera au grand jour, des décennies plus tard, son penchant pour les femmes. Son commentaire de leur dîner aux chandelles en 1948 ? « Stan Lee ne s’intéresse qu’à Stan Lee. »
Deux décennies plus tard, les dessinateurs éconduits se vengent, crayon en main. Jack Kirby donne à la planète Ego, qui apparaît notamment dans les Gardiens de la Galaxie, les traits de Stan Lee, avant de le brocarder en impresario sans scrupules dans un épisode de Mister Miracle. Joe Simon, co-créateur éconduit de Captain America, scénarisera une planche humoristique où un certain Stan Me se fait une spécialité de recycler des héros créés par d’autres…
« Homère » porte une moumoute
Cette boursouflure d’ego se voit aussi sur son apparence. Petit homme chétif dans les années 1950, Stan Lee sacrifie à la mode de la moumoute pour cacher sa calvitie lors de la décennie suivante. Le succès gonflant son compte en banque, il passera aux implants. Dans les années 1970, il n’est pas rare de le retrouver avec une chemise col pelle à tarte ouverte jusqu’au nombril et des pantalons pattes d’eph à faire pâlir d’envie Claude François ou Joe Dassin. Une rock star, une vraie. « Dès qu’il y avait une occasion de briller, il ne la laissait pas passer », résume Bob Batchelor. Dans sa biographie, Joe Simon raconte que lorsqu’un étudiant l’a qualifié d’« Homère du XXe siècle » lors de ses nombreuses conférences dans les universités, Stan Lee s’est rengorgé… avant de s’empresser de faire circuler la remarque dans la presse. Joe Simon se souvient aussi d’une conversation avec « Stan the man » sur le poste de directeur artistique qu’il s’était arrogé. « Je suis le seul à avoir répondu à l’annonce », répond Stan Lee sans se démonter. « Quelle annonce ? Et le fait que tu sois de la famille du patron n’a pas joué, peut-être ? » « Ça alors, c’est vrai ! J’avais complètement oublié. »
Le créateur de comics Stan Lee à New York (Etats-Unis), le 10 juillet 1978. (SANTI VISALLI / ARCHIVE PHOTOS / GETTY IMAGES)
Après des décennies de vaches maigres à zoner dans les cocktails hollywoodiens pour convaincre des acteurs de seconde zone d’incarner Spiderman ou Hulk au cinéma, Stan Lee finit par connaître un regain de notoriété grâce à l’avalanche d’adaptations de ses héros sur grand écran et ses caméos, attendus par les fans comme le banquet final avec Assurancetourix attaché à un arbre dans Astérix. « Mais si Jack Kirby était encore en vie [il est mort en 1994], il serait apparu dans les films, plaide Xavier Fournier. On le voit brièvement dans un téléfilm, Le Procès de l’incroyable Hulk. »
Délit de fuite
Le seul tort de Stan Lee est-il d’être resté dans la lumière plus longtemps que les autres ? Avant l’enterrement de Jack Kirby, il s’était assuré, via un tiers, que sa présence n’indisposerait pas la famille. Le cyclothymique Jack Kirby venait de le vouer aux gémonies dans une interview au vitriol dans The Comics Journal. Juste après la cérémonie, Stan Lee s’apprêtait à partir discrètement, quand Mark Evanier, l’assistant de toujours de Jack Kirby s’est précipité vers lui en criant « Stan ! Stan ! » Croyant être pris à partie, il avait décampé sans demander son reste. Mark Evanier portait le message de la veuve de Jack Kirby qui souhaitait le voir dire quelques mots à l’assemblée. Trop tard.
« La vraie injustice qui est en train de se résorber, petit à petit, c’est de reconnaître les co-créateurs des personnages Marvel au même niveau que Stan Lee. » En 2014, peu après le rachat de Marvel par Disney, les héritiers de Jack Kirby ont reçu un gros chèque en plus de la reconnaissance du rôle du dessinateur. Ironie de l’histoire, il a été récemment honoré du Bill Finger Award, une récompense prisée chez les auteurs, du nom d’un… scénariste de Batman cannibalisé par Bob Kane, le seul nom retenu par l’histoire. Pas sûr que Stan Lee, dont la fortune est estimée à 50 millions de dollars, en prenne ombrage.