Le tabou des violences contre les enfants.
Un tabou que veut combattre une nouvelle campagne contre les violences ordinaires, dont sont encore victimes de nombreux enfants. Il s’agit d’alerter sur les conséquences de nos cris quotidiens, mais aussi de lutter contre le tabou qui étouffe des faits beaucoup plus graves. Le docteur Gilles Lazimi est le coordinateur de la campagne.
« On estime que 1 à 2 enfants par jour meurent sous les coups de leurs parents »
Deux enfants meurent chaque sous les coups de leurs parents. Vrai ou Faux ?
C’est faux. Même si l’on entend souvent cette statistique, elle est erronée. Elle s’appuie sur les travaux précurseurs d’une pédiatre qui avait tenté, pour la première fois, il y a 10 ans, d’évaluer le nombre d’enfants victimes. Elle l’a fait en recoupant des données de la justice, des rapports de décès dans 3 hôpitaux qu’elle a réétudiés, puis elle a estimé aussi le nombre de bébés fantômes (ces enfants tués à la naissance, jamais déclarés). Tout cela, extrapolé à la France, donnait un total de 700 décès par an, environ, soit 2 par jours. Cela n’a aucune validité scientifique, mais au moins les consciences ont été réveillées.
A l’époque, peu de pays avaient de bons outils statistiques. Mais plusieurs ont évolué. La Grande-Bretagne notamment, est intéressante car c’est un pays assez proche du nôtre en terme de structure de population. Depuis 2006, tous les décès d’enfants de 0 à 18 ans y sont investigués, au niveau local, et les causes avérées ou soupçonnées sont décrites (violences volontaires, négligences…) L’an dernier, 211 enfants sont morts à cause de maltraitances en Grande-Bretagne… si l’on rapportait ce taux au nombre d’enfants français, cela donnerait chez nous 250 décès.
Donc plus de deux par semaine. Mais on n’en sait rien.
Non. Car l’outil statistique, en France, on ne l’a pas. Pour tenter de cerner le phénomène, l’observatoire national de la protection de l’enfance (ONPE) va s’appuyer maintenant sur les statistiques de police, considérées comme les plus fiables. Elles ont été publiées hier, justement : on sait qu’en 2016, 67 enfants sont morts en France dans le cadre de violences intra-familiales, que 27 000 plaintes pour violences physiques ou sexuelles au sein de la famille ont été enregistrées… Enfin les procureurs ont placé, en urgence, plus de 13 000 enfants pour les mettre à l’abri. Mais ces données sont incomplètes, car elles ne représentent que les faits déclarés à la police. Les hôpitaux sont loin de tout recenser. Ils ne recoupent pas leurs fichiers avec ceux de la police, et les départements, responsables de la protection de l’enfance, ont chacun leur méthode pour répertorier les signalements qui leurs remontent…Certains ne comptabilisent qu’un événement par fratrie, d’autres plusieurs, ce qui rend impossible leur exploitation. Il n’y a d’ailleurs pas de consigne nationale, et leurs logiciels informatiques de toute façon, sont incompatibles (il y a actuellement quatre fournisseurs différents) : voudrait-on compiler les informations en temps réel… qu’on ne le pourrait pas.
La conséquence, qui désole les associations, est que ce flou empêche d’agir. Impossible d’étudier, en comparant les affaires, à quel moment les services sociaux ont failli avant un drame. On ne peut pas non plus fixer de règles nationales: par exemple, certains départements alertent la Justice au bout de 2 signalements… d’autres non, ils se contentent d’une enquête sociale, avec du personnel pas toujours expérimenté. Le gouvernement doit lancer un plan au printemps, pour que cela change… La seule chose qui ait fait défaut, jusqu’à présent, est une réelle volonté politique.