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DÉBAT – Dans son livre « Génération j’ai le droit », une enseignante dénonce une « nouvelle génération individualiste » et parle de « crise de l’autorité ». Pour autant, faut-il obligatoirement incriminer les parents ? Nous avons soumis la question à un pédo-psychiatre.Romain LE VERN« Nos jeunes aiment le luxe, ont de mauvaises manières, se moquent de l’autorité et n’ont aucun respect pour l’âge. A notre époque, les enfants sont des tyrans. » Cette phrase ne date pas de 2018, elle nous vient de -400 avant J.C. et elle est redevable à Socrate.
Barbara Lefebvre, auteure du livre Génération : J’ai le droit, tire la même sonnette d’alarme que le philosophe grec dans Le Parisien. Pour ce faire, elle témoigne de son vécu d’enseignante, parlant d’une nouvelle génération individualiste : « une génération d’élèves (…) qui considèrent que leurs droits individuels prévalent sur l’intérêt général. On glorifie les identités particulières au détriment du bien commun (…) A partir du moment où vous glorifiez l’individu, c’est la récusation de l’autorité ».
En d’autres termes, selon l’auteure, nous sommes passés de la reconnaissance de la singularité de l’être humain, une des grandes qualités de la société occidentale, à l’individualisme forcené qui prend la forme d’un individu consommateur estimant qu’il a plus de droits que de devoirs. Question : les parents sont-ils pour autant les premiers responsables de cette génération « Moi, je » ? On a posé la question à Nicolas Georgieff, professeur de psychiatrie à l’université Lyon 1.
LCI : Partagez-vous cette idée selon laquelle la société de consommation et les réseaux sociaux sont en partie responsables d’une génération « moi, je » ?
Nicolas Georgieff : Les réseaux sociaux ne fabriquent rien de neuf. Simplement, ils créent des phénomènes épidémiques. Ils augmentent l’impact d’un certain nombre de facteurs pathogènes. Rien de nouveau. De même, les comportements anorexiques et la dysmorphophobie ont toujours existé. Il serait idiot d’affirmer que la question du narcissisme est apparue avec les réseaux sociaux. Ce qui change, c’est la dimension que ça prend. C’est juste plus visible. Ce qui apparaît, c’est que les valeurs déclinent comme la solidarité, l’éthique, la relation aux autres. Tout est lié à une crise éducative. Non, je ne ferai pas porter la responsabilité aux réseaux sociaux ou aux effets de mode de technologie. Car, oui, le vrai problème reste les parents.
LCI : N’est-ce pas facile d’incriminer les parents ?
Nicolas Georgieff : Sans vouloir faire de la sociologie à deux balles, je suis frappé de constater à quel point les parents babyboomers, nés dans les années 60, viennent en réalité d’un autre monde. Ceux qui sont aujourd’hui les parents d’ados sont complètement perdus car les valeurs éducatives qui étaient les leurs, enfants, ne sont plus du tout les mêmes. Dans les années 50-60, tout était hyper restrictif : un respect absolu de l’autorité parentale, une privation de liberté pendant l’adolescence… Aujourd’hui le style éducatif se trouve aux antipodes. Ce qu’il faut questionner, c’est le rapport à l’autorité. Car le rapport à l’autorité se transmet. Si les familles ne font pas le travail en amont, l’école n’y arrive pas puisque les gamins sont déjà totalement étrangers à la notion d’autorité.
LCI : Comment l’expliquez-vous ?
Nicolas Georgieff : Il y a eu des désorganisations profondes dans la cellule familiale, des valeurs éducatives probablement avec des transformations après la Seconde Guerre mondiale dans l’Europe occidentale. Il en émane un constat : la notion d’autorité a perdu du sens pour des gamins et lorsqu’elle arrive dans des lieux supposés prévoir comme l’école, elle ne fonctionne pas. Allez dans une classe aujourd’hui, ce qu’il s’y passe est invraisemblable. Les élèves se lèvent, discutent entre eux, se comportent de manière aberrante. Pour moi, c’est principalement parce que la crise est en amont, elle réside directement dans les familles. Les parents sont en panne de repères éducatifs. Ils n’osent plus faire montre d’autorité envers les enfants, ils ne se sentent plus légitimes. Il y a 50 ans, la question ne se posait pas. Vous étiez le père de famille et vous incarniez l’autorité.
S’il n’y a pas d’interdits dans la tête de l’ado, il va les chercher ailleursLCI : Comment voyez-vous l’avenir ?
Nicolas Georgieff : Ce que je constate, c’est que vous avez le retour du religieux, voire du religieux obscurantiste. Vous avez deux forces en présence totalement antagonistes. Vous avez d’un côté le délitement des valeurs et de l’autre vous avez un mouvement obscurantiste qui porte au pinacle des valeurs médiévales. L’un nourrit l’autre. Les parents eux-mêmes n’ont plus de repères car ce sont des parents qui ont été des ados sans référence bien solide à l’autorité. Ce qu’il faut éviter, c’est le déclinisme, dire que tout s’effondre et ressasser que c’était mieux avant (…) Il y a toujours eu des forces contradictoires mais ce qui apparaît, en effet, c’est une radicalisation. Un choc actuel dont on ne mesure pas encore l’ampleur. Des jeunes sans repères qui d’un coup vont se radicaliser, se convertir à une religion, parce qu’ils vont trouver dans cette religion l’inverse de ce qu’ils ont connu. Cette dernière les attire, leur apporte les valeurs manquantes. Le problème, c’est qu’ils la découvrent sous des formes monstrueuses. Partez d’un principe pour comprendre ce qui se passe : s’il n’y a pas d’interdits dans la tête de l’ado, il va les chercher ailleurs, généralement sous une forme pathologique.