Fin août, c’est avec une stupéfaction digne de Christophe Colomb découvrant l’Amérique
qu’a été accueillie la modélisation en 3D d’un clitoris fabriqué par la chercheuse française indépendante Odile Fillod. Tout l’été, le petit organe en forme de cintre, qui mesure 10 centimètres entre l’extrémité du gland du clitoris et sa racine, a squatté les sites d’info et les réseaux sociaux dans l’émerveillement général. Bien que son anatomie soit connue depuis 1844, la représentation de cet organe érectile à plusieurs branches a été saluée comme l’aube d’un jour nouveau pour la compréhension de la sexualité féminine, encore envisagée comme la dernière terra incognita (bon, ok, avec la planète Mars).
Tellement inconnue que parmi les militants pour un renouveau de l’éducation sexuelle, il y en a même qui inventent de nouveaux mots pour pallier l’absence d’un vocabulaire adéquat pour décrire le plaisir féminin. Parmi eux, l’Association suédoise pour l’éducation sexuelle a proposé l’an dernier le mot klittra, une combinaison des mots suédois clitoris et paillettes, pour décrire la masturbation féminine.
Mais ce n’est pas le seul front de bataille de ceux qui, aujourd’hui, plaident pour une refonte totale de la façon d’aborder l’éducation sexuelle et proposent une approche nouvelle, décomplexée mais technique, de l’apprentissage sexuel. Une approche aussi nouvelle que salutaire. Au vu du sexisme, des agressions sexuelles sur les campus, du slut shaming ou plus simplement de l’ignorance crasse qui entoure la chose, on en vient à se dire que l’absence d’une éducation sexuelle digne de ce nom commencent à se voir comme une vulve au milieu de la figure.
Parlons-en
Si vous avez eu un jour avec vos parents «la conversation», c’est-à-dire ce moment pénible où ils ont tenté de vous inculquer des rudiments d’éducation sexuelle, vous avez probablement dû décoder des balbutiements gênés à propos de l’importance de se protéger et de ne pas coucher avec n’importe qui; n’importe qui étant invariablement porteur du virus du sida ou incroyablement fertile.
Vous ne vous êtes pas formalisée plus que ça: c’est exactement ce que l’on vous avait dit au lycée, l’école étant censé être aussi responsable de cette part de votre éducation. Pourtant, Vincent Hupertan, urologue et sexologue, voit encore dans son cabinet des ingénieurs qui ne savent pas où se trouve le clitoris:
«C’est le grand problème de l’éducation sexuelle à l’école: elle se concentre uniquement sur le sida, les maladies sexuellement transmissibles, les préservatifs… Tout tourne uniquement autour de la prévention.»
Obligatoire depuis la loi du 4 juillet 2001, qui précise qu’«une information et une éducation à la sexualité sont dispensées dans les écoles, les collèges et les lycées à raison d’au moins trois séances annuelles», l’éducation sexuelle en France est souvent oubliée ou casée dans un cours de biologie, une à deux fois dans une scolarité complète. Un oubli qui a valu une indignation du Haut conseil à l’égalité au mois de juin. Selon son rapport, parmi les 3000 écoles publiques et privées étudiées, un quart zappe purement et simplement ce cours obligatoire. Et, quand la loi est appliquée, c’est souvent de manière «parcellaire». Résultat, un quart des filles de 15 ans ne savent pas qu’elles ont un clitoris et 83 % ne savent pas à quoi il sert.
Odile Fillod, chercheuse en sociologie des sciences, le regrette:
«L’éducation sexuelle s’inscrit essentiellement dans une logique préventive et négative (on veut éviter les grossesses non désirées, la propagation des IST, la consommation de pornographie, les agressions sexuelles, etc.), et non dans l’optique positive recommandée par l’OMS depuis 2010. Dans les autres domaines, l’école a pour mission de transmettre des connaissances et d’aider les élèves à développer leur potentiel, mais pour ce qui est de l’éducation sexuelle, on n’est pas du tout dans cette logique. Non seulement on ne cherche pas à aider les jeunes à développer une sexualité épanouie, mais les connaissances de base concernant l’anatomie et le fonctionnement des organes sexuels ne sont même pas transmises.»
Et comme l’a montré Buzzfeed News en septembre, ce n’est pas en bachotant leurs manuels scolaires de la rentrée 2016 que les filles risquent d’en savoir plus, puisque, sur 8 manuels de SVT consultés pour leur enquête, deux ne mentionnent pas le clitoris et aucun le représente correctement.
«Une consultation de sexologie, au même titre que la chirurgie esthétique, n’est pas remboursée par la Sécurité sociale, alors que c’est un travail long, qui nécessite plusieurs séances.»
Vincent Hupertan, urologue et sexologue.
Vous vous dites qu’elles finiront bien par apprendre avec l’expérience? Mauvaise pioche. Selon une étude auprès de 2 600 femmes réalisée par le collectif Osez le clitoris en 2011, elles ne sont, à l’âge adulte, que 80 % à situer correctement le clitoris dans le haut de la vulve (quand 11 % le situent à l’entrée du vagin) et 42 % à ne pas savoir que cet organe est entièrement dédié au plaisir.
«Les femmes ne connaissent pas assez leur corps, confirme Sophie Frignet, sage-femme spécialiste du périnée (elle prépare actuellement, avec la maison d’édition érotique La Musardine, un livre consacré à ces muscles magiques que les femmes ne découvrent trop souvent qu’après l’accouchement). On est en 2016 et beaucoup de femmes ne savent pas comment leur sexe est fait.»
«Ce n’est pas inné»
«Ce soir, dans votre lit, je veux que chacune d’entre vous apprenne à mieux connaître sa foufoune.» Ce cri du cœur, c’est celui que Sophia Burset, le personnage transgenre joué par Laverne Cox dans Orange is the New Black, pousse dans l’épisode 4 de la saison 2, devant un groupe de détenues –qui croient encore uriner avec leur vagin. Elle vient de leur expliquer, croquis de vulve à l’appui, à quel point il était essentiel pour leur plaisir de savoir se servir de leur sexe. Un cours salutaire mais auquel, une fois arrivées à l’âge adulte, les femmes ont peu de chances d’assister (à moins de finir en prison manifestement, mais, on ne peut décemment pas vous souhaiter ça).
«La sexualité doit s’apprendre tout au long de la vie, ce n’est pas inné», confirme le Dr Hupertan. Mais le problème, c’est que ça s’apprend où? Pas chez les médecins, vu que, comme le rappelle le sexologue, «une consultation de sexologie, au même titre que la chirurgie esthétique, n’est pas remboursée par la Sécurité sociale, alors que c’est un travail long, qui nécessite plusieurs séances».
Ni sur l’AppStore, qui a interdit en 2014 et en 2016 deux applications consacrées à la masturbation (Happy Time et La petite mort) alors qu’elles ne contenaient aucune image pornographique. Ni dans les magazines qui se contentent souvent de conseils aussi vagues que «se mettre dans l’ambiance» ou «pimenter ses relations», renforçant l’idée tenace que la sexualité féminine, c’est avant tout dans la tête, contrairement à une sexualité masculine plus mécanique. Et c’est dommage, pour Elisa Brune, auteure de la passionnante enquête sur le plaisir féminin, Le secret des femmes:
«À la suite de l’OPA de Freud sur la sexualité féminine, on considère toujours aujourd’hui que celle-ci relève avant tout de psychologie. Si vous ne jouissez pas, c’est parce que papa, maman, l’Église, la société ou un grand-père vous ont traumatisée de façon irrémédiable. Il ne saurait être question d’information ou de réglages techniques.»
Dans son livre, on apprend notamment que c’est avec la bipédie, c’est-à-dire ce moment de l’évolution où l’homme s’est mis debout, que le clitoris a changé de place, s’éloignant de l’entrée du vagin pour migrer vers le haut de la vulve. Bref, il est encore difficile de trouver des conseils purement pratiques, sans qu’on crie à la pornographie ou qu’on fustige une démarche qui mettrait en péril le fameux «mystère du plaisir féminin».
Entrer dans les détails
«Il semble que la plupart des gens soient d’accord pour appuyer l’idée d’un empowerment sexuel féminin, mais dès qu’il s’agit d’entrer dans les détails, à quoi cela ressemble vraiment, il y a encore un sentiment d’indécence», regrette Emily Lindin, du site OMG Yes. Dans cette incroyable banque de vidéos, des femmes de tous âges et de toutes origines se font filmer chez elles pour raconter, face caméra puis vulve face à la caméra, leurs meilleures techniques pour atteindre l’orgasme.
Outre le fait de proposer une galerie rafraîchissante des différentes formes de vulves (et de manucures), le site permet également à ses 75.000 abonnés –29 dollars pour un accès illimité– de tester quelques-unes des techniques via des vulves tactiles qui réagissent à vos doigts (avec une petite voix qui vous prévient si elle s’ennuie ou si vous êtes sur la bonne voie).
C’est à la fac que leurs fondateurs Lydia Daniller, lesbienne, et Rob Perkins, hétéro, ont constaté à quel point il était encore difficile de parler du plaisir féminin. En épluchant les ressources universitaires, ils se rendent compte que la communauté scientifique a délaissé l’approche technique. Et se tournent vers les femmes elles-mêmes pour savoir.
Attention, on ne parle pas d’un petit projet de fin d’année: Danniller et Perkins ont interviewé près de 2 000 femmes âgées de 18 à 95 ans afin de déterminer quelles techniques revenaient assez souvent pour être considérées comme efficaces. «Nous voulions donner à nos abonnés une chance d’apprendre de cette sagesse collective et d’avoir l’opportunité de l’appliquer à elles-mêmes», explique Emily Lindin.
Et c’est justement ce grand partage des ressources qui pourrait faire basculer l’éducation sexuelle dans une nouvelle ère. Ces deux derniers mois, deux livres très remarqués aux Etats-Unis ont ainsi proposé une nouvelle approche de l’exploration du plaisir féminin. Dans le premier, Action, a book about Sex, Amy Rose Spiegel, 25 ans, en appelle à Saint-Augustin, au menu du McDonald et à Michel Foucault. Ce livre, à mi-chemin entre l’autobiographie et le guide pratique, aborde des sujets décomplexés (et non-hétéronormés) tel que «comment bouffer une chatte?».
Dans le second, Future Sex, Emily Witt, journaliste pour n+1 et le New Yorker, raconte son odyssée personnelle à travers toutes les expériences permises par internet (spoiler: elle en est revenue heureuse qui comme Ulysse a fait un beau voyage).
Mais c’est évidemment sur YouTube que l’on trouve les reines de l’éducation sexuelle nouvelle génération, souvent diplômées mais avec une approche on ne peut moins universitaire. Parmi elles, Laci Green dont l’émission Sex+ compte 1,5 million d’abonnés et dont les thématiques partent de questionnements, de peurs ou d’excitations qui lui sont propres (les IST, la forme des lèvres, l’orgasme, le BDSM). Hannah Witton, 250.000 abonnés, met quant à elle en avant un statut «d’experte autodidacte».
Soit tout un mouvement qui réconcilie le savoir théorique et l’expérience personnelle. Vous voyez où on veut en venir? Au cas où vous feriez semblant de ne pas comprendre, on vous a laissé quelques exercices de théorie appliquée que vous pourrez toujours transmettre si cela vous intéresse de participer à cette nouvelle révolution sexuelle.
Application pratique
Le zonage: Pour certaines femmes c’est à droite, pour d’autres, c’est à gauche. Mais vous avez un côté de la vulve qui répondra plus favorablement à la stimulation. La sensibilité est plus développée en haut, juste à côté du clitoris. Effectuez des demi-cercles pas trop appuyés pour déterminer la partie la plus sensible. Votre côté préféré sera a priori toujours le même mais à l’intérieur de cette zone, vous allez trouver un point qui sera celui auquel vous pourrez revenir pour décupler l’excitation. Ce point peut en revanche se déplacer d’une fois sur l’autre.
Le palper-rouler: Parce qu’il n’est pas nécessaire de vous faire ce que vous n’aimez pas qu’on vous fasse, attendez d’être vraiment excitée avant d’attaquer le clitoris, trop sensible pour être entrepris de front. En revanche, il peut être stimulé par la pression entière de la vulve. Placez votre main sur votre vulve (le pouce et l’index d’un côté des lèvres, les autres doigts de l’autre côté) de manière à l’entourer. Pressez en faisant rouler les lèvres. Si l’excitation est déjà bien montée, vous pouvez presser un peu plus fort, jusqu’à faire sortir le clitoris de son capuchon (clitoris que vous pouvez commencer à effleurer de l’autre main, #ambidextre).
Le coup de pression: Pas la peine de fustiger le porno qui a érigé le pilonnage en art tantrique si c’est pour vous caresser avec la vigueur que vous mettez à cirer vos Stan Smith. On commence tout doux en faisant glisser les doigts comme si la peau était une surface que vous avez peur de rayer. Et on augmente la pression au fur et à mesure jusqu’à être au bord de l’orgasme: à ce moment-là, plus la peine d’augmenter (au contraire), restez à pression constante (c’est a priori celle qui vous a amenée devant ce gouffre magnifique).
Le grand huit: Celui-là demande un peu plus de pratique puisqu’il s’agit de désynchroniser les mouvements de la main droite et de la main gauche (les pianistes devraient normalement être avantagées). Pendant que l’une des mains caresse lentement et dans un sens l’orifice vaginal (sans forcément le pénétrer), l’autre caresse dans le sens inverse et plus rapidement le clitoris.
La géométrie variable: On ne vous demande pas ici de tracer des triangles isocèles mais de varier le périmètre de vos cercles. Alternez les cercles entiers, les demi-cercles –en haut ou en bas de la vulve– et les cercles en 8. Si vous visez les orgasmes multiples, ne reproduisez pas les mêmes mouvements d’une fois sur l’autre, c’est a priori peine perdue (et le moment où vous pouvez tenter de revenir aux lignes droites, le long des lèvres).
Le dernier souffle: Vous savez déjà qu’une bonne préparation est ce qui va vous permettre de grimper avec beaucoup plus d’entrain vers le plaisir. Mais sachez aussi que vous pouvez également profiter de la descente, notamment avec cette technique tantrique, à faire juste avant l’orgasme ou juste après. Étendue sur le dos, serrez pendant 20 à 30 secondes tous les muscles de votre corps, spécialement ceux du plancher pelvien. Alternez pendant 30 secondes les inhalations et expirations fortes et rapprochées (comme si vous étiez un petit chien respirant dans un sac à papier en plein crash d’avion). Puis prenez trois longues inspirations-expirations, recontractez à nouveau tout le corps, mais cette fois assez fort pour qu’il se mette en V: les bras et les jambes au-dessus du sol, comme si vous tentiez de faire un exercice d’abdos. Vous avez l’air ridicule? Vous êtes sur la bonne voie. Relâchez tout. C’est le moment de vous dire merci.